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LES OISEAUX DE PROIE

« — Reste avec Charlotte : un suprême bonheur s’offre à toi pour la première fois de ta vie, tu serais bien fou de laisser échapper une pareille occasion. »

« Ce fut ce dernier conseil que j’écoutai : les intérêts de Sheldon furent mis de côté et je restai à causer avec Charlotte, auprès de la grille blanche, jusqu’à ce qu’il fût trop tard pour écouter fructueusement les reproches de ma conscience, au sujet du dog-cart.

« Ma Charlotte… oui, je l’appelle hardiment ainsi maintenant… ma Charlotte chérie est très-forte en agriculture. Elle éclaira mon esprit citadin au sujet des fermes situées dans les pays de montagnes, me disant comme quoi les terres de son oncle et de sa tante étaient pauvres et sablonneuses, exigeant très-peu de drainage, mais produisant aussi de très-maigres récoltes. L’endroit est très-pittoresque, et il a un air comme il faut que je trouvais tout à fait de mon goût : la maison est située au milieu de prairies parsemées de bouquets d’arbres, ce qui leur donne l’air d’un parc. Il est vrai que de paisibles moutons, au lieu de cerfs majestueux, y broutent l’herbe verdoyante ; l’on voit aussi fort peu de carrosses rouler le long de l’allée sinueuse et sablée qui conduit à la maison.

« Je me sentais une soif ardente pour l’agriculture, pendant que j’écoutais ma Charlotte. J’aurais désiré qu’une place de gardeur de troupeaux se fût trouvée vacante à la ferme de Newhall. Quel emploi, si modeste qu’il fût, n’aurais-je pas été heureux de remplir pour l’amour d’elle ? Oh ! combien j’aurais voulu être au temps de Jacob, chez ce patriarche des usuriers, afin de servir sept années encore pour obtenir ma bien-aimée !

« Je restai près de la grille, ne pensant plus du tout aux intérêts de mon patron, n’ayant plus conscience