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LES OISEAUX DE PROIE

tantes de Huxter’s Cross n’était pas sans agrément pour un pauvre diable de mon espèce.

« Au delà des maisonnettes trois routes se croisaient ; elles s’en allaient vers les montagnes à travers les landes. Deux de ces routes m’étaient déjà devenues familières, mais je n’avais pas encore exploré la troisième,

« — En avant ! me dis-je en hâtant le pas ; visitons ces lieux inconnus.

« Certainement, les pressentiments ne sont pas une chimère. Quelle autre chose que le sentiment instinctif d’un bonheur qui s’approchait eût pu, dans cette matinée, me rendre le cœur aussi léger ? Je chantais, en marchant bon pas le long de cette route inexplorée ; des fragments de barcarolles me revenaient à la mémoire. Le parfum de quelques rares fleurs sauvages, une odeur de mauvaises herbes qui brûlaient au loin, la fraîche brise d’automne, la teinte bleuâtre du ciel, tout me ravissait. Je sentais dans cette promenade solitaire une sorte de rénovation de moi-même, comme une existence nouvelle vers laquelle mon âme s’élançait rajeunie.

« — J’ai de grands remerciements à faire à Sheldon, me dis-je à moi-même, puisque c’est lui qui m’a obligé à venir prendre des leçons à la meilleure des écoles qui puisse former les hommes, la solitude. Je ne pense pas que je puisse désormais reprendre ma vie de bohème. Cette existence isolée m’a fait découvrir en moi des aspirations que je ne m’étais jamais connues. Combien il est vrai que les caractères des hommes dépendent de ce qui les entoure ! Avec Paget, je suis devenu un Paget. Quelques heures de tête-à-tête avec la nature ont suffi pour me faire prendre en aversion Paget et tous ceux qui lui ressemblent, tout séduisants qu’ils puissent paraître.