Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome II.djvu/112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
108
LES OISEAUX DE PROIE

sans souci du lendemain, ne songeant plus à hier, tout entière aux délicieuses pensées d’aujourd’hui.

« Maintenant, revenons aux affaires ; quittons les régions éthérées de l’imagination pour reprendre la simple relation des faits. Il y a aujourd’hui huit jours, je suis arrivé à Hidling, après un fastidieux voyage qui, avec les temps d’arrêt à Derby, Normanton, et autres petites stations, a pris la journée presque entière. Le jour tombait lorsque je pris place dans le véhicule hybride, moitié landau, moitié omnibus, qui devait me conduire de Hidling à Huxter’s Cross. Je n’ai vu de Hidling qu’une longue rue et une église ornée d’une tour carrée. Notre route s’embranchait dans cette rue, et, à la lueur du crépuscule d’automne, c’est à peine si j’ai pu apercevoir les lignes obscurcies des collines lointaines enfermant une vaste étendue de landes.

« J’ai été tellement saturé de Londres que ce paysage sauvage avait pour moi des charmes qu’il n’eût sans doute pas eu pour d’autres : l’obscurité même me plaisait. J’avais pour compagne, dans la voiture publique, une vieille femme qui dormait paisiblement dans un coin, pendant que, penchée au petit carreau ouvert, je considérais le paysage baigné par les ombres du soir.

« Le trajet dura plusieurs heures. Nous rencontrâmes deux ou trois petits groupes de chaumières ; les oies gloussaient et les coqs jetaient leur claire chanson en même temps que quelques lumières scintillant aux fenêtres supérieures, indiquaient que c’était l’heure du repos. À l’un de ces groupes de chaumières, qui rappelaient l’homme dans ce désert, nous changeâmes de chevaux avec beaucoup plus de hue !… de ho !… et de dia !… qu’on n’en eût entendu dans une contrée plus civilisée. À ce village j’entendis pour la première fois le