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LES OISEAUX DE PROIE

mourir dans la rue ? s’écria Anna ; je ne te croyais pas le cœur aussi dur. »

À partir de ce moment, il y eut des discussions continuelles entre la mère et la fille, qui jusque-là avait été la plus soumise des enfants. Les fanatiques ne pardonnent jamais aux insensés qui refusent de croire à la divinité de leur Dieu et les femmes qui aiment sont des fanatiques. La jeune fille ne pouvait pardonner à sa mère de dénigrer son idole, et la mère ne pouvait pas pardonner à sa fille ce qu’elle appelait sa folie. Enfin, après bien des scènes, après bien des mots durs, cruels, amers, échangés entre les deux femmes, après bien des pleurs, des insomnies, des misères, Anna, un beau matin, pendant que sa mère était au marché, s’enfuit avec le capitaine. Mlle Kepp laissa une petite lettre piteuse pour sa mère, pleine de fautes d’orthographe, mais pleine aussi de tendresse, de bons sentiments. Elle suppliait sa mère de lui pardonner, elle avait beaucoup lutté, son amour avait été le plus fort, etc., etc.

« Oh, mère ! si tu savais combien il est nauble, tu ne pourrais pas m’en vouloire de l’aimer comme je le fais, et nous viendrons te retrouver après notre mariage, et tu seras payée de ce qu’on te doit jusqu’au dernier sou. »

Après avoir écrit cette épître dans la cuisine, avec une décision que le capitaine jugea peut-être excessive chez la femme de son choix, Anna mit sa plus belle robe, sauta en fiacre, et, en compagnie d’Horatio, dit adieu à la maison maternelle. Elle aurait bien voulu emporter une petite caisse de bois blanc où reposait sa garde-robe, mais après l’avoir examinée, le capitaine lui