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LES OISEAUX DE PROIE

et je ne puis fermer l’œil tant que cette brave dame est là à ronfler d’une si effroyable façon. Mais pas un mot de nos petits engagements, Anna, jusqu’à ce que vous soyez seule avec votre mère. »

Là-dessus le capitaine étendit son mouchoir de poche sur son visage et se laissa aller au sommeil. Cette petite scène avait fatigué le capitaine, bien qu’elle eût été jouée si tranquillement que le sommeil de Mme Kepp n’en avait pas été troublé. Sa fille la réveilla peu de temps après et elle reprit son travail à l’aiguille, tandis qu’Anna prépara le thé pour son bien-aimé dormeur. Les tasses et les soucoupes firent plus de bruit ce soir-là qu’elles n’avaient coutume. Anna était toujours très-troublée : il semblait que l’émoi de son cœur se communiquât au bout de ses doigts sous l’indécision desquels la porcelaine résonnait. Il allait être son mari ! elle serait la femme d’un gentilhomme, et quel gentilhomme ! Quand on pense que des misères, des riens, comme un habit fait par un des premiers tailleurs de West End, et des bottes faites par un des premiers bottiers des mêmes parages, peuvent arriver à faire éclore cette fleur exquise de tendresse, de dévoûment, qui s’appelle l’amour d’une femme ! C’est avec raison qu’un philosophe moderne a dit que l’histoire du monde n’est qu’une question de vieux habits. Anna avait commencé par admirer la grâce des produits de MM. tels et tels, et maintenant elle était prête à engager sa vie à l’homme qui les portait !

Mlle Kepp obéit au désir de son amoureux, et ce ne fut que le jour suivant, lorsqu’elle fut seule avec sa mère dans la petite cuisine au-dessous de l’appartement du capitaine, qu’elle informa cette digne femme de l’honneur qui lui était réservé. Pour Anna commença alors la longue série de contrariétés auxquelles la con-