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LES OISEAUX DE PROIE

Tom rentrera avant minuit. Il n’aime pas que je reste à l’attendre ; mais, si je ne l’attendais pas, je ne saurais pas à quelle heure il revient.

— Espérons pour le mieux ! dit gaiement Philippe ; je vais aller commander les huîtres.

— N’y allez pas pour moi ou pour Tom, il aura certainement soupé quand il rentrera, et, quant à moi, je ne pourrais rien prendre. »

Mme Halliday insista sur ce point, de sorte que Sheldon fut forcé de renoncer à la réjouissante pensée des huîtres et du pale ale, mais il ne retourna pas à ses travaux. Il s’assit en face de sa visiteuse, qu’il se mit à observer silencieusement et en semblant réfléchir pendant qu’elle travaillait. Elle avait séché ses pleurs ; elle semblait chagrine et impatiente ; elle regardait sa montre souvent. Sheldon essaya deux ou trois fois de reprendre la conversation, mais elle languissait ; ils demeurèrent silencieux, se considérant, s’examinant.

Peu à peu l’attention de Philippe parut se détacher de Georgina. Il tourna sa chaise et se tint en face du feu, avec cette même fixité de regard que nous avons déjà remarquée chez lui, la nuit qui suivit son retour. Sa position était depuis quelque temps si désespérée, qu’il n’avait plus la force, comme autrefois, de se dégager de l’étreinte du souci, alors même qu’il avait, dans sa pensée, arrêté ce qu’il fallait faire ou ne pas faire. En dépit de sa résolution, certains sujets s’imposaient à son esprit troublé et l’obsédaient sans cesse. Il avait le sens des choses pratiques tellement développé, qu’il fut plus inquiet du désordre nouveau qu’il dut constater dans ses facultés que des pensées mêmes qui le provoquèrent. Il resta longtemps assis en face de Mme Halliday, sans s’apercevoir de sa présence, laissant fuir les heures, absorbé.