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LES OISEAUX DE PROIE

bonheur domestique bien plutôt dans la boîte à argenterie et l’armoire au linge, que dans les avantages physiques de son fiancé. Les dents blanches et les favoris noirs de Philippe ne le convertirent pas ; de sorte que le pauvre Sheldon fut jeté par-dessus le pont, comme il disait lui-même, et un beau, jour Georgy épousa Halliday, avec tout le cérémonial et la solennité usités dans la bourgeoisie de Barlingford.

Cette union s’accomplit sans crise, sans déchirement. Philippe lui-même ne montra aucun désespoir extravagant. Son père était quelque peu médecin en même temps que dentiste, et si Philippe avait nourri quelque sombre dessein, il n’aurait pas eu besoin de s’adresser aux complaisances ou à l’amitié d’un pharmacien ; car sur les planches du laboratoire de son père, il eût pu trouver une douzaine de petites fioles noires dont le contenu, en trois ou quatre secondes, l’aurait prestement débarrassé du fardeau de la vie. Mais Philippe était plus philosophe ; il s’éloigna fièrement de M. et Mme Halliday, pendant quelque temps après leur mariage, ce qui fit penser qu’il se considérait comme assez malheureux. Mais la prudence qui avait toujours été la conseillère de Philippe fut également sa consolatrice dans cette légère crise : elle l’amena à juger assez vite que la réussite de sa tentative amoureuse eût peut-être été, en somme, la plus mauvaise opération qu’il eût pu faire au début de sa carrière.

Georgina n’avait pas de fortune ; cela dit tout. L’expérience aidant sa philosophie naturelle, le jeune dentiste ne tarda pas à découvrir que la vie des habitants les plus fortunés de Barlingford ressemblait tout à fait à celle des canaris. Ils étaient enfermés dans une jolie cage, avec abondance de grains et d’eau. La cage est