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LES OISEAUX DE PROIE

une maison où l’on boit et où l’on mange beaucoup, rien n’est plus facile à une ménagère intelligente que de faire son affaire, comme on dit. Pendant ces quatre dernières années, Sheldon avait vécu très-simplement, pauvrement presque. Nancy, qui aimait toujours en son maître l’enfant aux yeux noirs qu’elle avait bercé, il y avait vingt-neuf ans de cela, l’avait soutenu dans cette voie de privation par son ordre, son économie. Elle s’était montrée honnête, délicate même, allant jusqu’à refuser de petits bénéfices que l’usage l’autorisait à accepter sans scrupule. Mais, ce que Nancy avait fait pour son maître, elle n’était pas disposée à le recommencer pour d’autres, pour des gens riches, qu’elle n’avait point bercés. Ici son intégrité cessait d’être excessive. Elle se mit en tête de faire supporter à Thomas Halliday, pendant son mois de séjour au logis, toutes les dépenses du ménage. Elle trouva cela juste, toujours à la mode du comté d’York.

Pendant que Nancy méditait sur ses devoirs domestiques, le maître de la maison, lui aussi, méditait et sur des sujets qui devaient être infiniment plus graves. Il avait pris dans un tiroir un portefeuille de cuir et en avait tiré une liasse de papiers. Il ne fit mine d’écrire aucune espèce de lettres, quoiqu’il eût prétexté qu’il avait à le faire en congédiant sa servante, mais les coudes appuyés sur la table, il mordillait le bout d’un porte-plume en bois qu’il maniait nerveusement entre ses doigts en regardant le mur avec une fixité stupide. Sous la clarté du gaz son visage semblait fatigué ; ses yeux étaient tout brillants de fièvre.

Sheldon était ce qu’on appelle un bel homme ; il avait la régularité fade des têtes en cire qui se voient à la porte des coiffeurs. Oui ! ses traits étaient réguliers, son