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LES OISEAUX DE PROIE

cette période sa manière d’être avec elle avait subi des variations considérables. Depuis quelque temps, il avait pris à son égard le ton d’un frère aîné dont l’affection est au-dessus des niaiseries de l’amabilité. Si Diana eût été une jeune personne agrémentée d’un nez camus, de cheveux rouges et de cils blancs, Valentin ne l’aurait pas traitée avec plus de familière indifférence.

Malheureusement cette ligne de conduite, qui est peut-être la plus sage et la plus honorable qu’un homme puisse adopter lorsqu’il se trouve amené à avoir des rapports quotidiens avec une jolie femme abandonnée à elle-même, est justement celle qu’une jolie femme est le moins disposée à pardonner. Une raideur chevaleresque, une mélancolie digne, une froide réserve, qui permettent de supposer que des flots de lave bouillonnent sous cette surface glacée sont choses agréables à l’orgueil et à la curiosité féminine. Mais la cordialité simple, affectueuse, un peu brutale, est un des plus grands outrages qu’on puisse faire à la majesté du sexe.

« Je présume que papa ne rentrera pas avant minuit, monsieur Haukehurst ? dit brusquement Diana, au moment où celui-ci qui venait d’achever son cigare en jetait le reste par-dessus le balcon,

— Très-probablement après minuit, mademoiselle Paget… Puis-je vous demander pourquoi je deviens tout à coup M. Haukehurst, alors que depuis trois ans vous m’avez toujours appelé Valentin ? »

La jeune fille détourna la tête avec un geste qui voulait imiter l’indifférence de son interlocuteur, et avec un regard rapide elle répondit :

« Quelle importance cela a-t-il que je vous donne un nom ou un autre ?

— Y a-t-il quelque chose qui ait de l’importance ? Il