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LE SECRET

fils. Il me cause bien des chagrins depuis quelque temps. Il n’est plus le même qu’auparavant ; il s’est mis en tête des idées absurdes, et ma femme est alarmée à propos de lui, elle… »

Lady Audley interrompit son mari en secouant la tête d’un air grave.

« Il vaut mieux, dit-elle, ne pas trop parler de cela pour le moment. Alicia sait ce que je crois…

— Oui, reprit miss Audley, vous croyez qu’il devient fou, mais je sais à quoi m’en tenir : Robert n’est pas taillé pour devenir fou. Ce n’est pas dans une mare qu’éclate jamais la tempête. Il peut se faire qu’il passe le reste de sa vie à bâiller à la lune dans un état d’idiotisme qui ne lui permettra pas de comprendre qui il est et où il va, mais il n’arrivera pas jusqu’à la folie. »

Sir Michaël ne répliqua pas. Sa conversation de la veille avec sa femme l’avait inquiété et il avait beaucoup réfléchi sur ce pénible sujet.

Sa femme — la femme qu’il aimait le plus au monde et qui avait toute sa confiance — lui avait exposé avec toutes les apparences du regret et de l’agitation sa conviction de la folie de son neveu. Il avait essayé inutilement d’arriver à la conclusion qu’il désirait de tout son cœur, il avait essayé de se prouver à lui-même qu’elle s’était trompée et que son opinion n’avait rien de sérieux. Mais alors que conclure ? Puisqu’elle croyait que Robert était fou, si elle se trompait, c’était son esprit à elle qui était dérangé. Il était certain que Robert avait toujours été excentrique. Il avait du bon sens, était passablement habile ; il avait de l’honneur et les sentiments d’un gentleman, quoiqu’il fût peut-être un peu insouciant dans l’accomplissement de certains devoirs de société d’ordre inférieur ; mais il existait quelques légères différences difficiles à définir qui le séparaient des autres jeunes gens de son âge et de sa position. Il était vrai encore qu’il avait