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LE SECRET

sur lui, et où la marée montante envahirait lentement, mais invinciblement ses pieds. Elle semble avancer plus près et plus près chaque jour, cette sombre et impitoyable marée ; non en se précipitant sur moi avec grand fracas, mais s’insinuant, rampant, glissant furtivement, prête à me passer par-dessus la tête quand je m’attendrai le moins à ce dénoûment. »

Robert Audley fixa son ami dans un silencieux étonnement, et, après un instant de réflexion profonde, dit avec solennité à George Talboys :

« Je comprendrais ceci, si vous aviez mangé quelque mets lourd. Le porc froid, par exemple, surtout s’il n’est pas assez cuit, peut produire cette espèce d’effet. Vous avez besoin de changer d’air, mon cher ami, vous avez besoin des brises rafraîchissantes de Fig-Tree Court et de l’atmosphère douce de Fleet Street. Ou bien, attendez, dit-il subitement, je connais votre affaire ! vous avez fumé les cigares de notre ami l’hôtelier ; cela explique tout. »

Ils rencontrèrent Alicia Audley sur sa jument, une demi-heure après qu’ils avaient pris la résolution de quitter l’Essex de bonne heure, le matin. La jeune demoiselle fut vraiment surprise et grandement désappointée en apprenant la détermination de son cousin ; et, pour cette raison précisément, se piqua de prendre la chose avec une suprême indifférence.

« Vous êtes bientôt fatigué d’Audley, Robert, dit-elle négligemment, mais c’est bien naturel : vous n’avez pas d’amis ici, excepté vos parents du château ; tandis qu’à Londres, sans doute, vous avez la plus délicieuse société, et…

— J’ai de bon tabac, murmura Robert en interrompant sa cousine ; Audley est la vieille résidence que je préfère ; mais lorsqu’un homme n’a pour fumer que des feuilles de chou desséchées, vous savez, Alicia…