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DE LADY AUDLEY

jeunes gens (dont l’un était incapable par sa blessure au cœur qu’il portait avec tant de calme, de prendre véritablement du plaisir à rien ; et l’autre considérait presque tous les amusements comme une forme négative du chagrin) commencèrent à s’ennuyer de l’ombre des saules penchés sur les sinuosités des ruisseaux des environs d’Audley.

« Fig-Tree Court n’est pas gai pendant les longues vacances, dit Robert d’un air réfléchi, mais je pense, après tout, qu’on y est mieux qu’ici ; tout compte fait, on y est près des marchands de tabac, » ajouta-t-il en tirant avec résignation des bouffées de fumée d’un exécrable cigare fourni par le propriétaire de l’auberge du Soleil.

George Talboys, qui avait seulement consenti à l’expédition dans l’Essex par une soumission passive au désir de son ami, n’était en aucune façon porté à s’opposer à leur retour immédiat à Londres.

« Je serais enchanté de m’en retourner, Bob, dit-il, car j’ai besoin de faire une visite à Southampton ; je n’ai pas vu le petit depuis plus d’un mois. »

Il appelait toujours son fils « le petit, » et parlait toujours de lui plutôt avec tristesse que d’un ton plein d’espérance. La pensée de son enfant semblait ne lui apporter aucune consolation. Il expliquait cela en disant qu’il avait idée que l’enfant ne voudrait jamais apprendre à l’aimer ; et, pis même que cette idée, un vague pressentiment qu’il ne vivrait pas assez pour voir son petit Georgey atteindre l’adolescence.

« Je ne suis pas un homme romanesque, Bob, disait-il quelquefois, et je n’ai jamais lu dans ma vie une ligne de poésie qui fût pour moi autre chose qu’un assemblage de mots et de rimes ; mais, depuis la mort de ma femme, je suis comme un homme qui serait sur un rivage bas et étendu, où des rochers affreux jetteraient de leurs profondeurs des regards menaçants