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LE SECRET

jours de l’année, qu’à moins d’attendre quelque exceptionnel 29 février, et de marcher droit à lui, en lui disant : « Robert, voulez-vous m’épouser ? » je doute fort qu’il se fût jamais aperçu de l’état de son cœur.

Encore, eût-il été amoureux d’elle, je crois que cette tendre passion aurait été, chez lui, un sentiment si vague et si faible, qu’il aurait pu descendre au tombeau avec une obscure idée de quelque sensation désagréable, qui pouvait être aussi bien amour qu’indigestion, et sans avoir, dans son intérieur, une connaissance quelconque de sa situation.

Aussi était-il parfaitement inutile, ma pauvre Alicia, de chevaucher dans les chemins fleuris autour d’Audley pendant ces trois jours que les deux jeunes gens devaient passer dans l’Essex ; c’était peine perdue que de porter ce joli chapeau d’amazone orné d’une plume, et d’être toujours, par le plus singulier des hasards, sur le chemin de Robert et de son ami. Les noires boucles (ne ressemblant en rien aux boucles soyeuses de lady Audley, mais d’épaisses boucles serrées qui tombaient sur la peau brune de votre cou élégant), les lèvres rouges et boudeuses, le nez disposé à être retroussé, le teint brun avec des effluves de vif cramoisi, toujours prêtes à monter comme un signal de nuit dans un ciel ténébreux, lorsque vous voyiez tout à coup votre apathique cousin, — toute cette coquette, espiègle beauté de brunette prodiguée devant les yeux peu clairvoyants de Robert Audley, vous eussiez fait aussi bien de vous reposer dans le frais salon du château, au lieu de fatiguer à la mort votre jolie jument sous le brûlant soleil de septembre.

Maintenant, pêcher à la ligne, excepté pour un disciple fervent d’Isaac Walton, n’est pas la plus gaie des occupations ; c’est pourquoi on sera fort peu étonné que le lendemain du départ de lady Audley, les deux