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DE LADY AUDLEY

mer l’aide de sa bourse ou de sa protection, il eût été difficile de trouver dans le comté d’Essex une créature plus fortunée que Lucy, lady Audley.

Les deux jeunes gens flânèrent à table dans une salle particulière de l’auberge du Soleil. Les fenêtres étaient toutes grandes ouvertes, et l’air frais de la campagne pénétrait jusqu’à eux pendant qu’ils dînaient. Le temps était délicieux ; le feuillage des bois montrait çà et là les nuances affaiblies des dernières teintes de l’automne ; les épis jaunes, encore debout dans quelques champs, tombaient dans d’autres sous les faucilles étincelantes, pendant que l’on rencontrait dans les sentiers étroits de grands chariots traînés par des chevaux d’attelage, au large poitrail, transportant dans les fermes la moisson dorée. Pour qui est resté, pendant les mois brûlants d’été, claquemuré dans Londres, il y a dans la première saveur de la vie des champs une espèce d’enthousiasme voluptueux difficile à décrire. George Talboys éprouva cette sensation délicieuse, et avec elle quelque chose voisin du plaisir qu’il n’avait jamais senti depuis la mort de sa femme.

L’horloge sonna cinq heures comme ils finissaient de dîner.

« Prenez votre chapeau, George, dit Robert Audley. On ne dîne pas avant sept heures au château ; nous aurons le temps de descendre jusque-là et de voir la vieille demeure et ses habitants. »

L’hôtelier, qui était entré dans la chambre avec une bouteille de vin, leva les yeux en entendant les paroles du jeune homme.

« Je vous demande pardon, monsieur Audley, dit-il : mais si vous voulez voir votre oncle, vous perdrez votre temps en ce moment. Sir Michaël, milady et miss Alicia sont tous partis pour les courses de Chorley, et ils ne pourront être de retour qu’à la nuit, vers huit