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LE SECRET

partout où il voudrait et à faire tout ce qu’il voudrait ; ne cherchant pas le plaisir, n’en faisant jamais naître l’occasion, mais participant aux divertissements des autres avec un abattement, un flegme, une silencieuse et paisible résignation particulière à sa simple nature. Cependant le retour de la poste apporta une lettre d’Alicia Audley, qui annonçait que les deux jeunes gens ne pouvaient être reçus au château.

« Il y a dix-sept chambres à coucher vacantes, écrivait la jeune miss, en caractères tracés d’une main indignée ; et malgré tout cela, mon cher Robert, vous ne pouvez venir, car milady a mis dans sa stupide tête qu’elle est trop souffrante pour recevoir des visites (elle n’est pas plus souffrante que moi) et qu’elle ne peut avoir dans sa maison des gentlemen (elle dit des grandes brutes d’hommes). Daignez faire des excuses à votre jeune ami, M. Talboys, et lui dire que papa espère le voir avec vous pendant la saison de la chasse. »

« Malgré tout, les fantaisies et les airs de milady ne nous interdiront pas l’Essex, dit Robert en tordant la lettre pour allumer sa grosse pipe en écume de mer ; voici ce que nous allons faire, George ; il y a à Audley une excellente auberge et quantité d’endroits pour pêcher dans le voisinage ; nous allons y aller et nous procurer une semaine d’amusement. La pêche est bien plus agréable que la chasse, vous n’avez qu’à rester allongé sur le rivage et à regarder votre ligne ; on ne prend pas souvent quelque chose, mais c’est très-amusant. »

Il approcha, en parlant, la lettre tordue de quelques faibles étincelles qui brillaient dans la grille du foyer, et changeant bientôt d’idée, il se mit résolument à dérouler et à lisser avec sa main — le papier froissé.

« Pauvre petite Alicia ! dit-il d’un air pensif, il est