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LE SECRET

s’était hasardé à le féliciter sur le rétablissement de son esprit. Il avait éclaté en un rire amer.

« Ne savez-vous pas, Bob, dit-il, que lorsque quelques-uns de nos camarades sont blessés dans l’Inde, ils reviennent chez eux avec des balles dans le corps. Ils n’en parlent pas, ils sont solides et dispos, et ils ont peut-être aussi bonne figure que vous et moi ; mais chaque changement de température, même léger, chaque variation de l’atmosphère, même insignifiante, ramènent les anciennes douleurs de leurs blessures aussi vives qu’ils les sentirent jamais sur le champ de bataille. J’ai ma blessure, Bob, je porte aussi ma balle, et je la porterai jusque dans mon cercueil. »

Les voyageurs revinrent de Saint-Pétersbourg au printemps, et George reprit ses quartiers dans les chambres de son vieil ami, les quittant seulement de temps en temps pour courir à Southampton et jeter un coup d’œil sur son petit garçon. Il arrivait toujours chargé de jouets et de friandises pour l’enfant ; mais, malgré tous ces présents, Georgey ne devenait pas très-familier avec son papa, et le cœur du jeune homme se brisait en commençant à craindre que même son enfant ne fût perdu pour lui.

« Que puis-je faire ? pensait-il. Si je le sépare de son grand-père, je lui ferai du chagrin ; si je le laisse, il grandira comme un véritable étranger pour moi, et se souciera plus de ce vieil hypocrite d’ivrogne que de son propre père. Mais encore que pourrait faire d’un tel enfant, un ignorant et épais dragon comme moi ? Pourrais-je lui enseigner autre chose qu’à fumer des cigares et à flâner tout le long du jour les mains dans ses poches ? »

Le jour anniversaire de ce 30 août, où George avait vu l’annonce de la mort de sa femme dans le Times, était revenu pour la première fois, et le jeune homme ôta ses habits noirs et le crêpe fané de son chapeau