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LE SECRET

au crâne dénudé assoupi sur le Morning Advertiser, le garçon en savates pliant une nappe froissée, et le beau visage de Robert Audley qui l’examinait d’un air alarmé et compatissant ; il sentit que tous ces objets prenaient des proportions gigantesques et se fondaient l’un à côté de l’autre dans des taches noires qui flottaient devant ses yeux. Il entendit comme le bruit assourdissant d’une demi-douzaine de machines à vapeur qui tempêtaient et grondaient dans ses oreilles, puis il ne connut plus rien, excepté que quelqu’un ou quelque chose tombait pesamment sur le sol.

Il ouvrit les yeux vers la fin de la soirée, dans une chambre fraîche et sombre, dont le silence était rompu seulement de temps en temps par le bruit lointain des voitures.

Il jeta autour de lui des regards étonnés, mais presque indifférents. Son vieil ami Robert Audley fumait, assis à côté de lui. George était étendu sur une couchette basse, en fer, en face d’une croisée ouverte, sur laquelle était une rangée de fleurs et deux ou trois oiseaux dans des cages.

« Avez-vous envie d’une pipe, voulez-vous fumer, George ? demanda tranquillement son ami,

— Non. »

Il passa quelques instants à regarder les fleurs et les oiseaux : un canari chantait en trilles aiguës un hymne au soleil couchant.

« Les oiseaux vous ennuieraient-ils, George ? je les retirerais de la chambre.

— Non, je préfère les entendre chanter. »

Robert Audley secoua les cendres de sa pipe, posa avec tendresse la précieuse écume de mer sur le chambranle de la cheminée, et, passant dans la pièce voisine, revint aussitôt avec une tasse de thé fort.