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DE LADY AUDLEY

profond le calme qui régnait en ce lieu. Il était presque accablant, ce calme du crépuscule. Ce repos absolu devenait pénible par son intensité, et on éprouvait la même sensation que si un cadavre avait été quelque part, au milieu de cette masse grise de bâtiments recouverts de lierre, tant était funèbre la tranquillité de tout ce qui l’entourait.

Comme l’horloge de l’arceau sonnait huit heures, une porte s’ouvrit doucement derrière la maison, et une jeune fille parut dans les jardins.

Mais la présence même d’un être humain rompit à peine le silence : car la jeune fille glissa sur le gazon épais, et pénétrant dans l’avenue par le côté du vivier, disparut dans l’ombre épaisse des tilleuls. Ce n’était pas positivement une jolie fille, mais son apparence était de celles que l’on appelle généralement intéressantes. Intéressante peut-être, parce que, dans sa figure pâle et ses brillants yeux gris, dans ses traits fins et ses lèvres serrées, il y avait quelque chose qui dénotait un pouvoir de répression et d’empire sur soi-même peu ordinaire dans une femme de dix-neuf à vingt ans. Elle eût été jolie, je pense, n’eût été un défaut dans son frêle visage ovale. Ce défaut était une absence complète de couleur. Pas une teinte d’incarnat ne colorait la blancheur de cire de ses joues, pas une ombre de teinte brune ne réparait la pâle fadeur de ses cils et de ses sourcils, pas un reflet d’or ou d’ébène ne relevait le blond monotone de sa chevelure. Sa toilette même était entachée des mêmes défauts ; la mousseline de sa robe vert de lavande était passée à un gris fané, et le ruban noué autour de son cou se fondait dans la même teinte neutre.

Sa figure était effilée et mince, et en dépit de son humble costume, elle avait la grâce et la tournure d’une grande dame ; mais ce n’était qu’une simple paysanne, du nom de Phœbé Marks, élevée comme domestique