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DE LADY AUDLEY

barquer l’un de ces hommes. Il me donna tous les renseignements que je lui demandai, et me dit, en outre, qu’un gaillard robuste et vigoureux comme moi ne pouvait pas manquer de réussir dans les mines. Cette ouverture fit jaillir en moi une résolution si soudaine que le rouge et la chaleur me montèrent au visage et que l’exaltation agita tous mes membres. À tout événement, ce parti valait mieux que le suicide. En supposant même que je m’éloignasse furtivement de ma bien-aimée, je la laissais en sécurité sous le toit de son père, j’arrivais dans le nouveau monde, j’y faisais ma fortune, et je revenais, au bout d’une année, déposer mes richesses à ses pieds ; car, en ce moment, j’étais si confiant, que je comptais faire ma fortune en un an ou à peu près. Je remerciai l’individu pour les informations qu’il m’avait données, et, bien tard dans la soirée, j’allai rôder dû côté de mon logis. La température était glaciale, mais j’étais trop surexcité pour sentir le froid, et je marchai à travers les rues paisibles, le visage fouetté par la neige, le cœur plein d’espérance et de désespoir en même temps. Mon beau-père était assis dans la salle à manger et buvait du grog ; ma femme, à l’étage supérieur, dormait paisiblement avec son enfant sur son sein. Je m’assis et lui écrivis quelques lignes, dans lesquelles je lui disais que je ne l’avais jamais plus aimée qu’à ce moment où je semblais l’abandonner, que j’allais tenter la fortune dans le nouveau monde, et que, si je réussissais, je lui rapporterais l’aisance et le bonheur ; que, si j’échouais, au contraire, elle ne me reverrait jamais. Je divisai le reste de notre argent — un peu plus de quarante livres — en deux parts égales ; je lui laissai l’une et je mis l’autre dans ma poche, je m’agenouillai et je priai pour ma femme et pour mon enfant, la tête appuyée sur la blanche courte-pointe qui les recouvrait. Je n’étais pas habitué à prier, mais Dieu sait avec quel