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LE SECRET

faire, produisant une confusion universelle dans la chétive innocence de leur incapacité haut placée. Les hommes carrés sont poussés dans des trous ronds par leurs femmes. Le potentat d’Orient, qui a dit que les femmes se trouvent au fond de tous les malheurs, aurait dû aller un peu plus loin, et voir pourquoi il en est ainsi : c’est parce que les femmes ne sont jamais paresseuses. Elles ne savent pas ce que c’est que d’être en repos. Elles sont Sémiramis, Cléopâtre, Jeanne d’Arc, Élisabeth ou Catherine II, et se vautrent dans les batailles, les meurtres, les cris et le désespoir. Si elles ne peuvent agiter l’univers et jouer à la balle avec les hémisphères, elles changent en montagnes de guerre et en tourments les taupinières de leur intérieur domestique, et soulèveront des tempêtes sociales dans les tasses à thé de leur ménage. Empêchez-les de pérorer sur l’indépendance des nations et les injustices de l’humanité, et elles chercheront querelle à mistress Jones sur la forme d’un manteau ou le caractère d’une méchante servante. Les appeler le sexe faible, c’est articuler une hideuse plaisanterie ; elles sont le sexe le plus fort, le plus bruyant, le plus persévérant, le plus tyrannique. Elles demandent la liberté de penser, la variété des occupations ; les ont-elles ? Qu’on les leur laisse. Laissez-les être jurisconsultes, docteurs, prédicateurs, professeurs, soldats, législateurs, — ce qu’elles voudront, — mais qu’elles soient tranquilles — si elles peuvent. »

M. Audley passa ses mains dans les masses luxuriantes et droites de sa chevelure noire qu’il releva dans son désespoir.

« Je déteste les femmes, pensa-t-il dans un accès de misanthropie : ce sont des créatures entreprenantes, éhontées, abominables, inventées pour l’ennui et la désolation de leurs supérieurs. Voyez l’affaire du pauvre George ! Elle est entièrement l’ouvrage d’une femme,