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DE LADY AUDLEY

fixés sur les miettes de pain éparses sur le damassé brillant, tandis qu’il approfondissait cette question.

« Que diable suis-je allé faire dans cette galère ? se demandait-il. Mais j’y suis maintenant et ne puis en sortir : aussi vaut-il mieux me soumettre de moi-même à la jeune fille aux yeux bruns et faire ce qu’elle me dira avec patience et fidélité. Quelle prodigieuse solution de l’énigme de la vie il y a dans le gouvernement du jupon ! L’homme peut mentir à la face du soleil, manger le lotus de l’oubli et se livrer à la fantaisie toutes les après-dînées si sa femme le lui permet ! Mais elle ne lui permet pas habituellement : bénissons l’impulsion de son cœur et l’activité de son esprit ! Elle sait mieux agir que cela. Qui jamais a entendu parler d’une femme prenant la vie comme elle doit être prise ? Au lieu de la supporter comme un ennui inévitable, seulement rachetable par sa brièveté, elle marche à travers elle comme si c’était une cérémonie pompeuse ou une procession. Elle s’habille pour elle, elle sourit pour elle, elle grimace et gesticule pour elle. Elle pousse ses voisins et lutte pour avoir une meilleure place dans la marche fatale ; elle coudoie et se démène, elle foule aux pieds et se pavane, à seule fin de faire le plus de misère qu’elle peut. Elle se lève de bonne heure et se couche tard, et est bruyante et remuante, et tapageuse et impitoyable. Elle traîne son époux sur le sac de laine ou le pousse dans le Parlement ; elle le pousse la tête la première vers la chère machine paresseuse du gouvernement, et le frappe et le soufflette pour le lancer dans les roues, les manivelles, les vis et les poulies, jusqu’à ce que quelqu’un, pour l’amour de son repos, le fasse le quelque chose qu’elle voulait qu’il fût. Voilà pourquoi des hommes incapables occupent quelquefois des places élevées et viennent interposer leurs pauvres intelligences embrouillées entre les affaires et les gens capables de les