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DE LADY AUDLEY

brir l’éclat de son horizon. Qu’il fasse cela, et positivement il rira avec la plus complète amertume de l’âme quand il inscrira la somme de sa félicité et découvrira la pitoyable exiguïté du total. Il aura passé une semaine ou dix jours agréablement, dans trente ans, peut-être. Dans trente années de triste température de décembre, de tempêtes de mars, de pluies d’avril et de ciels sombres de novembre, il peut y avoir eu sept ou huit resplendissantes journées d’août pendant lesquelles le soleil a brillé dans une atmosphère sans nuages, où des brises d’été nous ont apporté des parfums continuels. Avec quelle ivresse nous nous souvenons de ces jours isolés de plaisir, espérons leur retour et essayons de tracer le plan des circonstances qui les ont rendus brillants ; ah ! combien nous arrangeons, préméditons, et faisons de diplomatie avec le destin pour obtenir le renouvellement du plaisir présent à notre mémoire ! Comme si quelque plaisir pouvait être fait de telles ou telles parties constituantes ! comme si le bonheur n’était pas essentiellement accidentel… un oiseau merveilleux et passager, complètement irrégulier dans ses migrations, au milieu de nous un jour d’été, et parti pour jamais loin de nous le jour suivant ! Considérons le mariage, par exemple, continuait le pensif Robert, qui était à méditer dans le véhicule cahotant pour lequel il devait payer six pence par mille, comme s’il eût chevauché dans la vaste solitude des savanes. Considérons le mariage ! qui peut dire quel sera le seul choix judicieux contre les neuf cent quatre-vingt-dix-neuf méprises ? Qui discernera au premier aspect la visqueuse créature qui doit être la seule anguille dans le colossal sac de serpents ? Cette jeune fille sur le trottoir, qui est là à attendre pour traverser la rue que ma voiture soit passée, est peut-être la seule femme dans toutes les créatures féminines de ce