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LE SECRET

depuis longtemps promise à quelques amis dans l’Essex. »

Robert tressaillit si violemment à ces mots de Clara Talboys, qu’elle le regarda soudain en face. L’agitation visible sur sa figure trahissait une partie du secret.

« Mon frère George a disparu dans l’Essex, » dit-elle.

Il ne put la contredire.

« Je suis fâché que vous en ayez découvert autant, répliqua-t-il. Ma position devient chaque jour plus compliquée, chaque jour plus pénible. Au revoir. »

Elle lui donna machinalement sa main quand il tendit la sienne, mais cette main était plus froide que du marbre, et resta inanimée dans celle de Robert, et tomba comme un bloc à côté d’elle lorsqu’il l’abandonna.

« Je vous en prie, ne perdez pas de temps pour retourner au logis, dit-il vivement. J’ai peur que vous ne soyez souffrante après la fatigue de ce matin.

— Souffrante, s’écria-t-elle avec dédain, vous me parlez de souffrance, quand le seul être dans le monde qui m’ait jamais aimé a été enlevé dans la fleur de la jeunesse. Peut-il y avoir désormais pour moi autre chose que de la souffrance ? Qu’est le froid pour moi ? dit-elle, en rejetant son châle en arrière et en exposant sa magnifique tête à la bise amère. Je marcherais d’ici à Londres nu-pieds dans la neige, sans jamais m’arrêter en chemin, si je pouvais le ramener à la vie. Que ne ferais-je pas pour le ramener à la vie ?… que ne ferais-je pas ? »

Ses paroles finirent par un gémissement de douleur violente ; et joignant les mains sur son visage, elle pleura pour la première fois de la journée. L’impétuosité de ses sanglots ébranlait son corps frêle, et elle fut obligée de s’appuyer contre le tronc d’un arbre pour se soutenir.