Page:Braddon - Le Secret de lady Audley t1.djvu/274

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
266
LE SECRET

celle d’une volonté capable de se frayer un chemin malgré la main de fer de la difficulté. Ses admirables traits, d’une nature sculpturale dans leurs contours, semblaient transformés en marbre par la fermeté d’expression de sa physionomie. Le visage qu’il regardait était le visage d’une femme que la mort seule pouvait faire dévier de ses projets.

« J’ai grandi dans une atmosphère d’abnégation, dit-elle avec calme. J’ai refoulé et étouffé les sentiments naturels de mon cœur, au point de les rendre peu naturels dans leur intensité ; je ne me suis donné ni amis ni amants. Ma mère mourut quand j’étais très-jeune. Mon père a toujours été pour moi ce que vous l’avez vu aujourd’hui. Je n’ai personne que mon frère. Tout l’amour que mon cœur peut contenir a été concentré sur lui. Vous étonnez-vous, alors, que lorsque j’apprends que sa jeune existence a été tranchée traîtreusement, je désire voir la vengeance s’appesantir sur le coupable ? Oh ! mon Dieu, s’écria-t-elle, en joignant subitement les mains et en levant les yeux vers le ciel d’hiver glacé, conduisez-moi au meurtrier de mon frère, et laissez ma main venger sa mort prématurée. »

Robert Audley resta immobile devant elle, la regardant avec une admiration respectueuse. Sa beauté s’était élevée jusqu’au sublime par la tension de sa passion comprimée. Elle ne ressemblait à aucune des femmes qu’il avait jamais vues. Sa cousine était jolie, la femme de son oncle était ravissante, mais Clara Talboys était admirable. Le visage de Niobé, embelli par la douleur, peut être à peine d’une beauté plus purement classique que le sien. Sa toilette même, puritaine dans la simplicité de sa couleur grise, rendait sa beauté plus éclatante que n’aurait pu le faire une toilette plus magnifique, eût-elle été femme moins admirable.