Page:Braddon - Le Secret de lady Audley t1.djvu/270

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
262
LE SECRET

s’approcha de lui, mais les couleurs s’évanouirent dès qu’elle eut recouvré sa respiration), des traits réguliers et une mobilité d’expression qui réfléchissait tout changement de sentiments. Il vit tout cela en quelques instants, et ne fit que s’étonner davantage du stoïcisme de sa conduite durant son entrevue avec M. Talboys. Il n’y avait pas de larmes dans ses yeux, mais ils brillaient d’un éclat fiévreux… d’un éclat terrible et sec… et il put voir que ses lèvres tremblaient lorsqu’elle s’adressa à lui.

« Miss Talboys, dit-il, que puis-je ?… pourquoi ?… »

Elle l’interrompit soudain, saisissant son poignet de sa main libre… elle tenait son châle de l’autre.

« Oh ! laissez-moi vous parler, s’écria-t-elle, laissez-moi vous parler, ou je deviendrai folle. J’ai tout entendu. Je crois ce que vous croyez ; et je deviendrai folle, à moins que je ne puisse faire quelque chose… quelque chose pour venger sa mort. »

Pendant quelques instants Robert Audley fut trop abasourdi pour répondre. De toutes les choses qui pussent arriver sur terre, il se serait attendu à voir celle-ci la dernière.

« Prenez mon bras, miss Talboys, dit-il ; calmez-vous, je vous en prie. Retournons un bout de chemin vers la maison et parlez tranquillement. Je n’aurais pas parlé comme je l’ai fait devant vous si j’avais su…

— Si vous aviez su que j’aimais mon frère, dit-elle avec calme. Comment auriez-vous pu savoir que je l’aimais ? comment quelqu’un aurait-il pu penser que je l’aimais, quand je n’ai jamais eu le pouvoir d’obtenir pour lui un bon accueil sous ce toit, ou un mot bienveillant de son père ? Comment aurais-je osé trahir mon affection pour lui dans cette maison quand je savais que même l’affection d’une sœur tournerait à son désavantage ? Vous ne connaissez pas mon père, monsieur Audley ; moi je le connais. Je savais qu’in-