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DE LADY AUDLEY

les jolies bouteilles de champagne, ayant les marques de Cliquot et de Moet sur leurs bouchons, se changèrent en pintes d’ale à six pence, apportées de la brasserie voisine par une domestique en savates. George avait été obligé de porter son propre fardeau et de prêter une main secourable à celui de sa femme, qui n’avait aucune idée de tenir secrets ses regrets et ses désappointements.

« Je croyais que les dragons étaient toujours riches, avait-elle coutume de dire de mauvaise humeur. Les jeunes filles veulent toujours épouser des dragons, les marchands veulent toujours être les fournisseurs des dragons, les maîtres d’hôtel avoir en pension chez eux des dragons, et les entrepreneurs de théâtre être patronnés par des dragons. Qui aurait pu s’attendre à ce qu’un dragon boirait de l’ale à six pence, fumerait d’horrible tabac, à tuer les oiseaux au vol, et laisserait porter à sa femme un chapeau délabré ? »

S’il se manifestait quelque sentiment égoïste déployé dans de semblables discours, George Talboys n’avait jamais songé à le découvrir. Il avait aimé sa femme et avait eu confiance en elle de la première à la dernière heure de sa courte vie de mariage. L’amour, qui n’est pas aveugle, n’est peut-être qu’une divinité fausse après tout ; car lorsque Cupidon laisse tomber le bandeau de ses yeux, c’est une indication fatale et certaine qu’il est prêt à étendre ses ailes pour s’envoler. George n’avait jamais oublié l’heure où pour la première fois il avait été fasciné par la jolie fille du lieutenant Maldon, et malgré le changement qui pouvait s’être opéré en elle, l’image qui l’avait charmé alors n’était pas changée et se présentait toujours la même à son cœur.

Robert Audley quitta Southampton par un train qui partit avant le jour, et atteignit la station de Wareham de bonne heure dans la matinée. Il loua un vé-