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LE SECRET

comme vous parleriez d’un vivant, je dois refuser d’écouter. »

Je crois qu’Harcourt Talboys s’applaudissait de la sombre grandeur romaine de ce discours, et qu’il eût aimé avoir une toge et se draper sévèrement dans ses plis, en tournant le dos à celui qui intercédait en faveur du pauvre George. Ce dernier n’avait jamais fait personnellement aucune tentative pour adoucir le verdict de son père ; il le connaissait assez bien pour comprendre que le cas était désespéré.

« Si je lui écris, il pliera ma lettre et mettra l’enveloppe dans l’intérieur et la classera avec mon nom et la date de son arrivée, disait le jeune homme, et il prendra à témoin tout le monde de la maison en témoignage qu’il n’a laissé paraître ni souvenir ému, ni pensée de pitié ; il restera attaché à sa résolution jusqu’au jour de sa mort. J’ose dire que, si la vérité pouvait être connue, qu’il était enchanté que son fils l’eût offensé et lui eût offert l’occasion de faire parade de ses vertus romaines. »

George avait répondu en ces termes à sa femme quand elle et son père l’avaient pressé de demander assistance à Harcourt Talboys.

« Non, ma chérie, avait-il dit en concluant. Il est bien dur peut-être d’être pauvre, mais nous le supporterons. Nous n’irons pas avec des figures dignes d’inspirer la pitié devant un père sévère, lui demander des aliments et un abri, uniquement pour éprouver un refus fait en longues sentences johnsoniennes, et servir d’exemple classique au profit du voisinage. Non, ma jolie petite, il est aisé de mourir de faim, mais il est difficile de s’humilier. »

Peut-être la pauvre mistress George ne donna-t-elle pas très-volontiers son agrément à la première de ces deux propositions. Elle n’avait pas grande envie de mourir de faim, et elle se désola piteusement quand