Page:Braddon - Le Secret de lady Audley t1.djvu/236

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
228
LE SECRET

ler, et, s’affaissant sur une chaise, il laissa tomber sa tête sur la table et pleura à chaudes larmes. Peut-être, dans toutes les tristes scènes de misère domestique qui se sont passées dans ces pauvres et sinistres maisons, dans toutes les basses infortunes, les hontes brûlantes, les chagrins cruels, les amères disgrâces qui reconnaissent pour mère commune la pauvreté, il n’y a pas eu une scène semblable à celle-ci… Un vieillard cachant sa face de la lumière du jour, et gémissant tout haut dans sa maison.

« Si je m’étais attendu à cela, pensa-t-il, je l’aurais épargné. Il aurait mieux valu, peut-être, l’avoir épargné. »

La sombre pièce, avec sa malpropreté et son désordre ; l’aspect du vieillard, avec sa tête grise sur la nappe souillée, parmi les débris confus d’un méchant dîner, disparaissaient devant les yeux de Robert Audley lorsqu’il pensait à un autre homme, aussi âgé que celui-là ; mais combien était grande la différence ! Qui pourrait arriver un jour à éprouver les mêmes douleurs et même une pire détresse, et verser, peut-être, des larmes plus amères ! Le temps pendant lequel les larmes montèrent à ses yeux et attristèrent la pitoyable scène qui se passait devant lui, fut assez long pour le ramener dans l’Essex, et lui montrer l’image de son oncle, frappé par l’infortune et le déshonneur.

« Pourquoi poursuivre cette affaire ? pensa-t-il. Pourquoi suis-je impitoyable ? Pourquoi suis-je inexorablement poussé en avant ? Ce n’est pas moi, c’est la main qui me fait signe d’avancer plus loin et plus loin encore sur la route sinistre à la fin de laquelle je n’ose pas songer. »

Telles étaient ses pensées, et cent fois plus nombreuses, tandis que le vieillard restait la figure toujours cachée, luttant avec ses angoisses, mais sans pouvoir les dompter.