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LE SECRET

tour du flambeau de sa raison pendant un moment, et le lieutenant répondit vaguement :

« Pensé ainsi ?… parce que j’ai pensé ainsi. »

Rencontrant le coup d’œil impatient et courroucé du jeune avocat, il fit un nouvel effort et la lumière brilla de nouveau.

« Parce que je pensais que vous ou son père voudriez l’emmener d’ici.

— La dernière fois que je vins dans cette maison, monsieur Maldon, vous m’avez dit que George Talboys s’était embarqué pour l’Australie.

— Oui, oui…, je sais, je sais, répondit le vieillard d’un air troublé, mêlant ses rares mèches de cheveux gris avec ses deux mains agitées ; je sais, mais il aurait pu être de retour… N’aurait-il pas pu ?… Il était remuant, et… et… peut-être d’un esprit bizarre quelquefois… Il aurait pu revenir… »

Il répéta ces mots deux ou trois fois d’un ton faible et semblable à un murmure, chercha en tâtonnant sur le chambranle de la cheminée, tout en désordre, une pipe en terre de sale apparence, la bourra et l’alluma d’une main tremblante.

Robert Audley considérait ces pauvres doigts desséchés et tremblotants, qui laissaient tomber des brins de tabac sur le tapis du foyer, et étaient à peine capables d’allumer une allumette à cause de leur agitation. Ensuite, se promenant deux ou trois fois de long en large dans la petite pièce, il laissa le vieillard prendre quelques bouffées du grand consolateur.

Bientôt, se retournant subitement vers le lieutenant en demi-solde, avec une sombre solennité sur son beau visage :

« Monsieur Maldon, dit-il lentement, observant l’effet de chaque syllabe qu’il prononçait, George Talboys ne s’est pas embarqué pour l’Australie, j’en suis certain ; plus que cela, il n’est pas venu à Southamp-