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LE SECRET

pait à la porte de la maison de M. Maldon. Il est le légataire de mon pauvre ami, et je dois garantir sa sécurité. »

Une jeune servante en savates ouvrit la porte et examina M. Audley presque d’un air soupçonneux en lui demandant, d’une voix très-nasillarde, ce qu’il désirait. La porte du petit salon était entre-bâillée, et Robert put entendre le cliquetis des couteaux et des fourchettes, ainsi que la voix du petit George qui babillait gaiement. Il dit à la servante qu’il venait de Londres, qu’il avait besoin de voir master Talboys et qu’elle voulût bien l’annoncer ; et, passant devant elle sans autre cérémonie, il ouvrit la porte du parloir. La jeune fille le fixa, pétrifiée par sa manière d’agir ; et, comme frappée par quelque conviction soudaine, elle jeta son tablier par-dessus sa tête, et sortit en courant dans la neige. Elle s’élança à travers le terrain désert, plongea dans une allée étroite, et ne respira plus que lorsqu’elle se trouva sur le seuil d’une certaine taverne appelée Coach and Horses, très-fréquentée par M. Maldon. La fidèle domestique du lieutenant avait pris Robert Audley pour quelque nouveau et déterminé percepteur de la taxe des pauvres, et avait regardé le récit débité par ce gentleman comme un adroit mensonge inventé pour la ruine des paroissiens en défaut, et s’était précipitée dehors pour avertir à temps son maître de l’approche de l’ennemi.

Quand Robert entra dans le salon, il fut surpris de trouver le petit George assis en face d’une femme occupée à faire les honneurs d’un méchant repas étalé sur une nappe sale et flanqué d’une mesure en étain remplie de bière. La femme se leva à l’entrée de Robert et fit une très-humble révérence au jeune avocat. Elle paraissait âgée d’environ cinquante ans et portait la robe de deuil, couleur rouillée des veuves. Son teint était fadement beau, et les deux bandeaux unis