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LE SECRET

avant de souhaiter une bonne nuit à son maître. Dès que la porte fut fermée sur la vieille Écossaise, il se leva de sa chaise avec impatience et parcourut sa chambre de long en large.

« Pourquoi continuer de poursuivre ces recherches, dit-il, quand je comprends qu’elles me conduisent, pas à pas, jour par jour, heure par heure, à cette conclusion que je voudrais éviter entre toutes ? Suis-je attaché à une roue, et dois-je suivre chacune de ses révolutions et me laisser emporter partout où elle voudra ? Où puis-je m’asseoir ici, ce soir, et me dire que j’ai fait mon devoir à l’égard de mon ami disparu ; que je l’ai cherché avec persévérance, mais que je l’ai cherché en vain ? Serai-je justifié par cette conduite ? Serai-je justifié en laissant la chaîne que j’ai lentement reconstruite, anneau par anneau, se démembrer à ce point ? Ou dois-je ajouter de nouveaux anneaux à cette fatale chaîne jusqu’à ce que le dernier clou soit rivé à sa place et que le cercle soit complet ? Je pense et je crois que je ne reverrai plus la figure de mon ami, et qu’aucune tentative de ma part ne pourra jamais être d’aucun avantage pour lui. En un mot, le plus cruel des mots, je crois qu’il est mort. Suis-je tenu de découvrir comment et en quel lieu il est mort ? Ou, étant comme je le crois, sur la voie de cette découverte, ferai-je tort à la mémoire de George Talboys en retournant sur mes pas ou en m’arrêtant désormais ? Que dois-je faire ? que dois-je faire ? »

Il resta les coudes sur ses genoux et la figure enfouie dans ses mains. La seule résolution qui eût lentement surgi dans sa nature paresseuse au point de devenir assez puissante pour opérer un changement dans cette même nature, le rendit ce qu’il n’avait jamais été auparavant… un chrétien, ayant conscience de sa propre faiblesse ; scrupuleux d’observer la stricte ligne du devoir ; effrayé d’affranchir sa conscience de l’étrange