Page:Braddon - Le Secret de lady Audley t1.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
12
LE SECRET

tume, que la femme du chirurgien leva les yeux sur elle avec surprise.

« Vous, prédestinée au malheur, ma chère enfant ? s’écria-t-elle, je pense que vous devriez être la dernière personne à parler ainsi, vous, une créature si gaie, si heureuse, que chacun prend plaisir à vous voir. Certes, je ne sais trop comment nous ferions si sir Michaël vous enlevait de chez nous. »

Après cette conversation, elles revinrent souvent sur le même sujet, et Lucy ne montra aucune émotion en quelque occasion que l’on discutât l’admiration du baronnet pour elle. C’était chose tacitement convenue dans la famille du médecin, que le jour où sir Michaël se proposerait, l’institutrice l’accepterait volontiers, et en vérité, les candides Dawson auraient taxé d’acte de folie le rejet d’une telle offre de la part d’une fille sans fortune.

Un soir, vers le milieu du mois de juin, sir Michaël était assis en face de Lucy Graham, devant une croisée du petit salon du chirurgien. La famille étant sortie de l’appartement par suite d’une circonstance quelconque, il profita de l’occasion pour entamer le sujet si cher à son cœur. En quelques mots solennels, il fit l’offre de sa main à l’institutrice. Il y avait quelque chose de touchant dans la manière et dans le ton à moitié suppliants avec lesquels il s’adressa à elle ; pouvant à peine espérer d’être agréé par cette belle jeune fille, il la priait de le plutôt repousser, quoique ce refus dût lui briser le cœur, que d’accepter son offre, si elle ne devait pas l’aimer.

« Je ne pense pas, Lucy, dit-il avec solennité, qu’une femme puisse commettre une plus grande faute que d’épouser un homme qu’elle n’aime pas… Vous m’êtes si chère, ma bien-aimée, que, malgré le profond attachement que j’ai pour vous, et malgré toute l’amertume que me donne la seule pensée d’un