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DE LADY AUDLEY

— Oui, vraiment. Quel motif a pu vous faire sortir par un temps pareil ?

— Parce que je désirais vous voir… en particulier.

— En vérité ?

— Oui, dit milady avec un air d’embarras extrême, jouant avec le bouton de son gant et l’arrachant presque dans son agitation, oui, monsieur Audley, j’ai senti que vous n’aviez pas été bien traité, que… vous aviez, en un mot, raison de vous plaindre, et que des excuses vous étaient dues.

— Je ne désire aucune excuse, lady Audley.

— Mais vous y avez des droits, répondit milady avec calme. Pourquoi, mon cher Robert, serions-nous vraiment si cérémonieux l’un à l’égard de l’autre ? Vous étiez bien à Audley ; nous étions très-enchantés de vous y posséder ; mais mon cher et extravagant mari n’a-t-il pas été mettre dans sa folle tête qu’il était dangereux pour le repos de l’esprit de sa petite femme d’avoir un neveu de vingt-huit ou vingt-neuf ans, occupé à la regarder en fumant des cigares dans son boudoir, et voilà notre charmante petite réunion de famille dispersée. »

Lucy Audley parlait avec cette vivacité particulière aux enfants, qui semblait chez elle si naturelle. Robert considérait d’un œil abattu et presque triste son visage brillant et animé.

« Lady Audley, dit-il, Dieu nous préserve vous ou moi d’attirer le chagrin et le déshonneur sur la tête de mon généreux oncle ; mieux vaut peut-être que je sois hors de la maison… mieux eût valu, peut-être, que je n’y fusse jamais entré. »

Milady avait tenu ses yeux fixés sur le feu, tandis que son neveu parlait ; mais, à ses derniers mots, elle releva subitement la tête, et le regarda en plein visage avec une expression étonnante, — un regard fiévreux et interrogateur, dont le jeune avocat comprit toute la signification.