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LE SECRET

libre et premier amour. Véritable roman d’un jour, qui, malgré tout, semblait être en bonne voie de se réaliser. Lucy Graham ne paraissait en aucune façon dédaigner les attentions du baronnet ; il n’y avait rien cependant dans ses manières des ignobles artifices employés par les femmes qui désirent captiver un homme riche. Elle était si habituée à l’admiration de tous, petits et grands, que la conduite de sir Michaël fit très-peu d’impression sur elle. Au reste, il était resté veuf si longtemps, qu’on avait abandonné l’idée qu’il se remariât jamais. À la fin, cependant, mistress Dawson aborda ce sujet avec l’institutrice. La femme du chirurgien était assise dans la chambre d’étude, occupée à travailler, pendant que Lucy donnait les dernières touches à quelques aquarelles faites par ses élèves.

« Savez-vous, ma chère miss Graham, dit mistress Dawson, que vous devez vous considérer comme une fille très-heureuse ? »

L’institutrice releva sa tête penchée sur son ouvrage et regarda avec étonnement sa maîtresse, en rejetant en arrière une ondée de boucles de cheveux, les plus merveilleuses boucles du monde, — soyeuses et légères comme du duvet, flottant sans cesse près de sa figure, et formant une pâle auréole autour de sa tête quand le soleil les éclairait.

« Que dites-vous, ma chère mistress Dawson ? demanda-t-elle en trempant son pinceau dans le bleu de mer broyé sur sa palette, et en l’arrangeant avec soin avant de le poser sur la délicate bande de pourpre, qui illuminait l’horizon dans l’aquarelle de son élève.

— Oui, ma chère enfant, je dis qu’il ne dépend que de vous de devenir lady Audley et la maîtresse du château d’Audley. »

Lucy Graham laissa tomber le pinceau sur la pein-