Page:Braddon - Le Secret de lady Audley t1.djvu/179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
171
DE LADY AUDLEY

Cependant le pauvre sir Harry Towers quitta le château d’Audley, l’air triste et vraiment abattu.

Il éprouvait très-peu de plaisir maintenant à retourner à son magnifique manoir, caché sous l’ombrage des chênes et des hêtres antiques. L’habitation carrée, à briques rouges, rayonnant à l’extrémité d’une longue voûte d’arbres sans feuilles, était pour lui désormais une demeure désolée, pensait-il, depuis qu’Alicia n’avait pas voulu en devenir la maîtresse.

Une centaine d’embellissements qu’il avait projetés et résolus furent éloignés de son esprit comme choses inutiles. Le cheval de chasse que Jim, le dresseur, était en train d’élever pour une dame, les deux jeunes chiens d’arrêt qui devaient être lancés pour la prochaine saison de chasse, le gros retriever qui aurait pu porter le parasol d’Alicia, le pavillon du jardin, abandonné depuis la mort de sa mère, mais qu’il s’était proposé de faire restaurer pour miss Audley, — toutes ces choses étaient maintenant dans son esprit autant d’objets inutiles et tourmentants.

« Quel avantage y a-t-il à être riche, si on n’a pas avec soi quelqu’un pour dépenser son argent ! dit le jeune baronnet. On devient égoïste, et l’on boit beaucoup trop de porto. C’est une cruelle chose qu’une jeune fille puisse refuser un cœur loyal et des écuries pareilles à celles que nous possédons dans le parc ! Cela bouleverse un homme. »

En vérité, ce refus inattendu avait complètement brouillé les quelques idées qui formaient le mince contingent de l’esprit du jeune baronnet.

Il avait toujours été éperdument amoureux d’Alicia depuis la dernière saison des chasses, époque à laquelle il l’avait rencontrée à un bal du comté. Sa passion, nourrie pendant la durée monotone d’un long été, avait éclaté plus vive dans les joyeux mois d’hiver, et la timidité du jeune homme, seule, avait retardé