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LE SECRET

Robert Audley aplanissait délicatement et avec précaution les feuilles crispées de son cigare.

« Mon ami du coin de Chancery Lane ne m’a pas donné d’aussi bons manilles que d’habitude, murmura-t-il. Si jamais vous fumez, ma chère tante (et je me suis laissé dire que quelques femmes cueillaient la mauvaise herbe cachée sous la rose), faites attention à bien choisir vos cigares. »

Milady respira longuement, ramassa sa brosse, et pouffa de rire à l’avis de Robert.

« Quel être excentrique vous faites, monsieur Audley ! Savez-vous que quelquefois vous m’embarrassez.

— Pas plus que vous ne m’embarrassez, ma chère tante. »

Milady serra ses couleurs et l’esquisse, puis, s’asseyant dans la profonde embrasure d’une autre croisée, à une distance considérable de Robert Audley, se mit à travailler à une grande pièce de tapisserie — sur laquelle les Pénélopes d’autrefois, dès l’âge de dix ou douze ans, se passionnaient à exercer leur habileté — le Vieux Temps à Bolton Abbey.

Assise comme elle était dans l’embrasure de cette croisée, milady était séparée de Robert Audley par toute la longueur de l’appartement, et le jeune homme pouvait seulement saisir par intervalles un rayon de son beau visage, entouré de sa brillante auréole de cheveux semblables à une brume dorée.

Robert Audley était depuis une semaine au château, et pourtant ni lui ni milady n’avaient encore prononcé le nom de George Talboys.

Ce matin-là, cependant, après avoir épuisé les sujets ordinaires de conversation, lady Audley demanda des nouvelles de l’ami de son neveu.

« Ce monsieur George… George… dit-elle en hésitant.

— Talboys ! suggéra Robert.