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DE LADY AUDLEY

rains ternis, et un petit tas d’argent malpropre et crasseux qui venait directement de la tirelire du chirurgien ; et alors, comme j’étais contente de posséder cet argent, tandis qu’aujourd’hui… je ne puis m’empêcher de rire lorsque j’y pense… Ces couleurs que j’emploie coûtent une guinée chacune chez Windsor et Newton… ; le carmin et l’outremer, trente shillings. J’ai donné à mistress Dawson une de mes robes de soie, l’autre jour, et la pauvre personne m’a embrassée, et le chirurgien a emporté le paquet chez lui sous son manteau. »

Milady faisait entendre de longs et joyeux éclats de rire en pensant à cela… Ses couleurs étaient mêlées ; elle était en train de copier l’aquarelle d’un paysan italien d’une beauté impossible, dans une atmosphère Turneresque impossible. L’esquisse était près d’être finie, et elle avait seulement à donner quelques petites retouches avec le plus délicat de ses pinceaux de blaireau. Elle se préparait délicatement à l’ouvrage en regardant de biais la peinture.

Tout ce temps-là, les yeux de Robert Audley étaient attentivement attachés sur son visage.

« C’est un grand changement, dit-il après un silence si long que milady pouvait avoir oublié ce qui avait été dit précédemment. C’est un grand changement ! bien des femmes donneraient beaucoup pour accomplir un changement comme celui-là. »

Lady Audley ouvrit ses grands yeux bleus et les fixa subitement sur le jeune avocat. Le soleil d’hiver, réfléchissant en plein sur sa figure, après avoir frappé le côté de la croisée, illuminait l’azur de ses beaux yeux, de sorte que leur couleur semblait incertaine et hésitante entre le bleu et le vert, comme varient en un jour d’été les teintes opalines de la mer. Le petit pinceau tomba de sa main et couvrit la figure du paysan d’une large tache de laque cramoisie.