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LE SECRET

ou d’un fossé profond ; elle va à travers le monde comme elle va à travers la campagne… droit, en avant, et saute par-dessus tout. Quelle excellente fille elle eût pu faire si elle avait été élevée dans Fig-Tree Court ! Si je me marie jamais et que j’aie des filles (possibilité reculée dont le ciel me préserve), elles seront élevées dans Paper Buildings, elles prendront leurs seules récréations dans les jardins du Temple, et n’iront jamais plus loin que les portes jusqu’à ce qu’elles soient en âge de se marier, époque à laquelle je les conduirai directement en passant par Fleet Street à l’église de Saint-Dunstan, et les remettrai entre les mains de leurs époux. »

C’est en faisant de semblables réflexions que M. Robert Audley trompa le temps jusqu’au moment où milady rentra dans le salon, fraîche et rayonnante dans son élégante toilette du matin, ses boucles d’or lustrées par les eaux parfumées dans lesquelles elle s’était baignée et son album recouvert de velours dans les mains. Elle dressa un petit chevalet à côté de la croisée, s’assit devant, et commença à mêler les couleurs sur sa palette, tandis que Robert l’observait les yeux à demi fermés.

« Est-il bien sûr que mon cigare ne vous incommode pas, lady Audley ?

— Oh ! non, vraiment, je suis presque accoutumée à l’odeur du tabac. M. Dawson, le chirurgien, fumait toute la soirée quand je vivais dans sa maison.

— Dawson est un brave homme, n’est-ce pas ? » demanda Robert d’un air insouciant.

Milady fit entendre son charmant éclat de rire toujours prêt à jaillir,

« La meilleure des créatures, dit-elle, il me donnait vingt-cinq livres par an…, imaginez-vous…, ce qui fait six livres cinq shillings par trimestre. Je me vois encore recevant cette somme, six malheureux souve-