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LE SECRET

La jeune fille se promenait de long en large, frappant à tort et à travers les pans de sa jupe avec sa cravache ; ses yeux lançaient des regards irrités, et une ardente rougeur flamboyait sous sa peau brune et diaphane. Le jeune avocat reconnut bien à ces symptômes que sa cousine était dans un accès de colère.

« Oui, répéta-t-elle, votre tenue est stupide et celle d’un être insensible. Savez-vous, Robert, qu’avec toute votre amabilité railleuse, vous êtes rempli d’amour-propre et d’arrogance. Vous regardez nos distractions du haut de votre grandeur, vous relevez vos sourcils et haussez vos épaules, puis vous vous jetez dans votre fauteuil, sans vous soucier de nous et de nos plaisirs. Vous êtes un égoïste, un sybarite au cœur glacé…

— Alicia ! ma bonne, ma gracieuse Alicia !… »

Le journal du matin s’échappa de ses mains, et il resta les yeux languissamment fixés sur son charmant agresseur.

« Oui, égoïste, Robert ! Vous gardez avec vous une demi-douzaine de chiens affamés, parce que vous aimez les chiens affamés. Vous arrêtez et caressez la tête de chaque vilain mâtin bon à rien dans la rue du village, parce que vous aimez les vilains mâtins bons à rien. Vous remarquez les petits enfants et leur donnez un demi-pence, parce que cela vous plaît d’agir ainsi. Mais vous relevez vos sourcils d’un quart d’yard lorsque le pauvre sir Harry Towers raconte une histoire ridicule, et fixez le pauvre individu jusqu’à lui faire perdre contenance avec votre hauteur nonchalante. Pour ce qui est de votre amabilité, vous laisseriez un homme vous frapper et vous lui diriez merci pour le coup, plutôt que de prendre la peine de le lui rendre ; mais vous n’iriez pas à un demi-mille pour rendre service à votre meilleur ami. Sir Harry vous vaut vingt