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LE SECRET

avec une robe de taffetas gris-perle, qui avait été portée environ une demi-douzaine de fois par sa maîtresse, ressemblait, selon la remarque de quelques spectateurs, à une vraie dame.

Une bien triste et sombre dame, aux traits vagues et dépourvus de couleurs, ayant des yeux, une chevelure, un teint et une toilette qui se confondaient en ombres si pâles et si incertaines, qu’un étranger superstitieux aurait pu prendre la mariée pour le fantôme de quelque autre mariée morte et ensevelie dans les caveaux de l’église.

Luke Marks, le héros de la circonstance, pensait très-peu à tout cela. Il s’était assuré la femme de son choix et l’objet de la longue ambition de sa vie — une auberge. Milady avait fourni les soixante-quinze livres nécessaires pour l’acquisition des immeubles, le pot de vin et la fourniture des bières et spiritueux d’une modique auberge dans le centre d’un petit village solitaire perché sur le sommet d’une colline appelée Mount Stanning. Ce n’était pas une très-jolie maison en apparence ; elle avait dans son aspect quelque chose de déjeté et de détérioré par la température, située comme elle était sur un terrain élevé, abritée seulement par trois ou quatre peupliers démesurés et nus, qui avaient poussé trop rapidement en hauteur aux dépens de leur vigueur et qui offraient l’image de la souffrance et de l’abandon. Le vent avait passé ses fantaisies sur l’Auberge du Château et fait sentir quelquefois cruellement sa puissance. C’était lui qui avait fait fléchir et renversé les toitures basses et couvertes de chaume des hangars et des étables, jusqu’à ce qu’elles fussent penchées et jetées en avant comme un chapeau rabattu sur le front bas de quelque brigand de village ; c’était lui qui avait secoué avec fracas les contrevents en bois qui étaient devant les fenêtres jusqu’à ce qu’ils pendissent brisés et délabrés sur