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LE SECRET DE LADY AUDLEY

Lady Audley démontra à sa femme de chambre la folie qu’elle faisait en voulant épouser le grossier valet.

Les deux femmes étaient ensemble, assises près du feu dans le cabinet de toilette de milady ; le ciel gris cachait le soleil d’une après-midi d’octobre, et les noires traînées de lierre obscurcissaient les châssis des croisées.

« Pour sûr, tu n’es pas amoureuse de cette lourde et vilaine créature ; l’es-tu, Phœbé ? » demanda durement milady.

La jeune fille était assise sur un tabouret aux pieds de sa maîtresse. Elle ne répondit pas immédiatement à la question de milady, mais elle resta quelques instants à regarder vaguement dans l’abîme incandescent de l’étroit foyer.

Bientôt elle dit, comme si elle avait pensé tout haut plutôt que répondu à la question de Lucy :

« Je ne pense pas que je puisse l’aimer. Nous avons été ensemble tout enfants et j’ai promis, quand j’avais un peu plus de quinze ans, que je serais sa femme. Je n’ose pas manquer à ma promesse, maintenant. Il y a eu des moments où j’avais composé parfaitement la phrase que j’avais l’intention de lui dire, pour lui déclarer que je ne pouvais pas lui garder ma parole, mais les mots mouraient sur mes lèvres et je restais à le regarder avec une sensation horrible dans le cœur, qui ne me permettait pas de parler. Je n’ose pas refuser de l’épouser. Je l’ai souvent examiné et je l’examine encore, assis à l’écart, taillant une branche d’épine avec son grand couteau pliant, et je pense que ce sont justement des hommes comme lui qui ont attiré leurs amoureuses dans des endroits écartés et qui les ont égorgées pour avoir manqué à leur parole. Quand il était enfant, il était toujours violent et vindicatif. Je l’ai vu une fois ouvrir ce même couteau dans une que-