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LE SECRET DE LADY AUDLEY

Elle frissonna à cette pensée plus qu’elle n’avait fait à la froide bise d’hiver, et s’emmitouflant étroitement dans sa fourrure, marcha si vite, que sa femme de chambre avait quelque peine à rester près d’elle.

« Te souviens-tu, Phœbé, lui dit-elle bientôt, modérant son pas, te souviens-tu de cette histoire française que nous avons lue… l’histoire de cette belle femme qui avait commis un crime… j’ai oublié lequel… au zénith de sa puissance et de sa beauté, lorsque tout Paris buvait à sa santé chaque nuit ; et que le peuple laissait la voiture du roi pour s’attrouper autour de la sienne et donner un regard à son visage ? Te souviens-tu comment elle garda le secret de ce qu’elle avait fait pendant près d’un demi-siècle, passant sa vieillesse dans son château de famille, honorée et chérie par toute la province, comme une sainte canonisée et la bienfaitrice du pauvre ; et comment, lorsque ses cheveux furent devenus blancs et ses yeux presque obscurcis par l’âge, son secret fut révélé par un de ces bizarres accidents par lesquels de tels secrets sont toujours révélés dans les romans, et comment elle fut jugée, reconnue coupable, et condamnée à être brûlée vive ? Le roi qui avait porté ses couleurs était mort et oublié ; la cour dont elle avait été l’étoile avait disparu ; les puissants fonctionnaires et les grands magistrats, qui auraient pu la secourir, se moisissaient dans leurs tombeaux ; les jeunes et braves cavaliers qui auraient donné leur vie pour elle étaient tombés sur des champs de bataille éloignés ; elle avait vécu pour voir le siècle auquel elle avait appartenu évanoui comme un rêve ; et elle alla au bûcher, suivie seulement de quelques paysans ignorants, qui avaient oublié toutes ses bontés et la huaient comme une méchante sorcière.

— Je n’ai pas de goût pour des histoires si lugubres, milady, dit Phœbé en frissonnant. On n’a pas