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DE LADY AUDLEY

seau, et toujours les pensées de Robert revenaient, malgré lui, à George Talboys.

Il se le représentait courant à Southampton par le train-poste pour voir son fils ; il se le représentait comme il l’avait vu souvent, lisant dans le Times les annonces des départs de vaisseaux, et cherchant un bâtiment pour le ramener en Australie. Une fois, il le vit en frissonnant étendu, froid et raide, au fond d’un ruisseau peu profond, avec son visage de mort tourné vers le ciel ténébreux.

Lady Audley remarqua sa distraction et lui demanda à quoi il pensait.

« À George Talboys ! » répondit-il brusquement.

Elle eut un petit frisson nerveux.

« Sur ma parole, dit-elle, vous me rendez presque mal à mon aise par la façon avec laquelle vous parlez de M. Talboys. On pourrait croire que quelque chose d’extraordinaire lui est arrivé.

— Dieu nous en préserve ! mais je ne puis m’empêcher d’être inquiet sur son compte. »

Plus tard, dans la soirée, sir Michaël demanda un peu de musique, et milady alla au piano. Robert Audley s’empressa de la suivre pour tourner les feuilles de son cahier de musique, mais elle jouait de mémoire et elle lui épargna la peine que lui aurait imposée sa galanterie.

Il transporta une paire de bougies allumées au piano et les disposa convenablement pour la jolie musicienne. Elle frappa quelques accords, puis se lança dans une rêveuse sonate de Beethoven. C’était une des nombreuses contradictions de son caractère, que cet amour de sombres et mélancoliques mélodies, si opposées à sa nature frivole et enjouée.

Robert Audley soupirait à côté d’elle, et comme il était inoccupé, ne retournant pas les feuilles de la musique, il s’amusa à considérer ces blanches mains