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LE SECRET

comme un écran pour se garantir du soleil, puis s’endormait promptement.

Oh ! heureux les poissons du ruisseau sur les bords duquel M. Talboys était assis ! Ils auraient pu se divertir à cœur joie, mordre timidement à l’hameçon de ce gentleman, sans compromettre leur sûreté d’aucune manière ; George, en effet, fixait l’eau d’un air distrait, en tenant sa ligne d’une main insouciante et inattentive, et avait dans son regard quelque chose d’étrange et d’absorbé. Lorsque la cloche de l’horloge sonna deux heures, il jeta sa ligne à terre et, s’éloignant à grands pas le long du ruisseau, laissa Robert Audley faire un somme qui, conformément aux habitudes de ce gentleman, n’était pas près de finir avant deux ou trois heures. Arrivé à un quart de mille au delà, George traversa un pont rustique, et entra dans les prairies qui conduisaient au château d’Audley.

Les oiseaux avaient tant chanté toute la matinée, qu’ils étaient peut-être fatigués en ce moment ; les bœufs paresseux étaient endormis dans les prairies ; sir Michaël n’était pas encore rentré de sa promenade du matin ; miss Alicia avait décampé une heure auparavant sur la jument baie ; les domestiques étaient tous à dîner dans une partie reculée de la maison, et milady avait pénétré, un livre à la main, dans la sombre avenue des tilleuls. Aussi le vieux manoir grisâtre n’avait-il jamais présenté un aspect plus paisible qu’en cette belle après-dînée, lorsque George Talboys traversa la pelouse pour carillonner bruyamment à la lourde porte de chêne garnie de fer.

Le domestique qui répondit à son appel lui dit que sir Michaël était sorti et que milady se promenait dans l’avenue des tilleuls.

Il parut un peu désappointé à cette nouvelle, et murmura quelque chose, soit qu’il désirait voir milady, soit qu’il allait chercher milady (le domestique