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LE SECRET

pour donner un éclat lugubre à sa blonde nature et une étrange et sinistre lumière à la profondeur de ses yeux bleus. Nul autre qu’un préraphaélite n’aurait donné à cette jolie bouche mutine l’expression dure et presque méchante qu’elle avait dans le portrait.

Il était ressemblant et en même temps pas ressemblant. C’était comme si on eût fait brûler des feux de couleurs étranges devant la figure de milady, et qu’ils eussent, par leurs reflets, produit sur elle de nouveaux traits et de nouvelles expressions qu’on n’avait jamais vues auparavant. Perfection du dessin, éclat des couleurs, se trouvaient là ; mais je suppose que le peintre avait tant copié de jolies monstruosités du moyen âge, que son cerveau en était dérangé, car milady, dans son portrait à elle, avait quelque chose de l’aspect d’un admirable démon.

Sa robe cramoisie, exagérée comme tout le reste de cette bizarre peinture, tombait autour d’elle en plis qui ressemblaient à des flammes, sa belle tête sortait de cette sombre masse de couleur comme d’une fournaise en furie. En vérité, le cramoisi de la robe, l’éclat de la figure, les reflets de l’or ardent de sa blonde chevelure, le dur écarlate de ses lèvres boudeuses, les couleurs vives de chaque accessoire du fond minutieusement peint, tout se combinait pour rendre le premier effet du tableau nullement agréable.

Tout étrange que fût la peinture, elle n’avait pas produit une grande impression sur George Talboys, car il resta assis devant elle environ un quart d’heure sans articuler un mot, le visage pâle, les yeux fixés sur la toile peinte, le flambeau serré par sa vigoureuse main droite et la gauche ouverte pendante à son côté. Il resta si longtemps dans cette attitude que Robert se retourna à la fin.

« Eh bien, George, je croyais que vous vous étiez endormi !