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LA TRACE

trefois la créature la plus étourdie et la plus gaie d’un cercle de gais et étourdis compagnons. Pensez à cette promenade quotidienne dans une grande cour carrée et dallée, promenade solitaire, car on ne lui permet même pas la compagnie des autres fous, crainte que la folie qui l’a poussé à commettre un crime abominable ne se déclare de nouveau, et mette en danger la vie de ceux qui l’entourent. Huit longues années pendant lesquelles il a compté chaque pierre du pavé, chaque fente et chaque brèche de chacune de ces pierres. Il connaît la forme de toutes les ombres qui tombent sur le mur blanchi à la chaux, et peut dire l’heure qui leur correspond. Il sait qu’à un certain moment de la soirée, pendant l’été, les ombres des barreaux de fer de la croisée produisent de longues lignes noires en travers des carreaux du pavé, et montent, montent, divisant le mur comme s’il était formé de panneaux, jusqu’à ce qu’elles se rencontrent, et absorbant dans leur réunion la lumière mourante, l’entourent et l’absorbent aussi, lui, pour le laisser encore une fois dans les ténèbres. Il sait aussi qu’à un certain moment de la matinée, pendant l’hiver, ces mêmes ombres sont les premiers indices du jour naissant, que, de l’épaisse obscurité de la nuit sombre, elles jaillissent sur le mur en bandes séparées par le jour matinal, froid et brillant, n’éclairant seulement que pour faire ressortir la noirceur de l’ombre. Il a été quel-