Page:Braddon - La Trace du serpent, 1864, tome I.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
58
LA TRACE

pourrait vous appeler son père et être un jour notre joie, notre bonheur à tous deux. »

Ces derniers mots réveillèrent l’enfant : il ouvrit les yeux où brillait une sorte de colère, et ses petits poings se crispèrent comme pour faire un geste de menace.

Si la rivière avait pu faire entendre une voix prophétique, certes elle se fût écriée :

« Une honte ! et un déshonneur ! un ennemi ! un vengeur impitoyable dans l’avenir ! »

La maison de cartes avait atteint trois étages ; Jabez prenait les cartes écornées une à une et avec une lente précision ; de sa main blanche il les posait délicatement sur le frêle échafaudage.

La femme portait alternativement ses yeux secs mais tristes sur lui et sur la rivière.

« Vous ne demandez pas à voir l’enfant, Jabez ?

— Je n’aime pas les enfants, dit-il ; j’en vois assez comme cela chez le docteur. Les enfants et la grammaire latine, ah ! je n’en vois pas la fin ! »

Il dit ces derniers mots en lui-même et d’une voix étouffée.

« Mais votre enfant, Jabez, votre propre enfant ?

— À ce que vous dites. »

Elle se leva et fixa sur lui un regard qui semblait dire : « Et c’est là l’homme que j’ai aimé ! c’est là l’homme pour lequel je me suis perdue ! »