Page:Braddon - La Trace du serpent, 1864, tome I.djvu/24

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
LA TRACE

quittée pour toujours sans un seul serrement de mains, sans me demander pardon, sans un murmure de regret pour tout ce qu’il m’a fait souffrir.

— C’était donc un bien mauvais sujet ?

— Il était ivrogne et joueur. Il jetait son argent par les fenêtres. Il avait de mauvaises connaissances, je le sais, mais il n’était pas méchant au fond. Le soir même de son départ, le soir où je le vis pour la dernière fois, je suis certaine qu’il regrettait sa mauvaise conduite ; il dit même quelques mots à ce sujet : il disait que le chemin qu’il suivait était bien sombre, mais qu’il fallait qu’il allât jusqu’au bout.

— Et vous ne fîtes aucune remontrance ?

— J’étais lasse de lui en faire, lasse de prier, et j’avais usé mon âme à de vaines espérances.

— Pauvre Agnès ! pauvre garçon ! malheureux garçon ! que le ciel ait pitié de lui ! Que le ciel ait pitié de tous ceux qui n’ont pas d’asile par une nuit semblable ! »

Le ciel prenait, en effet, pitié du malheureux qui, sur la route de Slopperton, à un mille environ du Moulin Noir, marchait d’un pas rapide vers la ville.

C’est un jeune homme dont les vêtements usés et presque en guenilles ne sont guère faits pour des temps comme celui-là. C’est un beau jeune homme, ou plutôt un homme qui a été beau, mais sur lequel les jours et les nuits passés dans la débauche,