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LA FEMME DU DOCTEUR

d’huile pour les cheveux ! Une certaine fois que Mlle Sleaford avait envoyé un des enfants chercher la provision habituelle, la mesure avait été bien différente, et la jeune personne ne fut pas médiocrement touchée de cette preuve du dévouement de son admirateur.

Dans ce coup d’œil rétrospectif, elle se rappela ces choses qui l’étonnèrent et qui la firent se haïr elle-même. Lorsque Viola rencontra sa destinée dans la personne de Zanoni, il n’y avait pas dans sa vie passée la vile image d’un apprenti parfumeur. Toutes les héroïnes favorites d’Isabel semblaient la regarder d’un air de reproche du seuil de leurs habitations nuageuses au moment où elle évoqua cette partie de son existence. Elle avait vécu et il n’y avait pas eu la moindre vision prophétique de son visage parmi tous ses rêves. Et maintenant il ne lui restait plus qu’à essayer de revenir à la même existence monotone, puisque ce jour-là elle devait se séparer de lui pour toujours.

Il faisait un vrai temps du mois de mars, très-variable, tantôt égayé par un soudain rayon de soleil, tantôt gris et menaçant, triste et incolore comme la vie qui attendait Isabel quand il serait parti, et que le doux roman de son existence serait arrêté brusquement comme une histoire dont on ne saura jamais la fin. La femme du médecin frissonna en sortant dans la ruelle, dont la poussière était soulevée en tourbillons par un fantastique vent du nord-est. Elle ferma soigneusement la porte derrière elle et s’éloigna, et, pour la première fois, elle sentit qu’elle faisait mal. Elle prit les sentiers familiers à travers champs ; elle essaya de marcher lentement ; mais ses pieds semblaient la porter dans la direction du chêne de lord