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LA FEMME DU DOCTEUR.

d’Héléna pour Bertram, de Viola pour Zanoni ? Les mauvaises gens de Graybridge peuvent dire ce qui leur plaira ; et s’ils disent la moindre des choses sur mon compte à George, je lui dirai la vérité ; et puis… et puis… si j’étais catholique, je me réfugierais dans un couvent comme Hildegonde ! Ah ! milady, vous ne comprenez pas un amour comme le mien ! — ajouta Isabel, regardant la fille du comte avec un air de supériorité superbe dans sa simplicité.

Elle était fière de son amour qui était si loin de la portée des gens vulgaires. Il est encore possible qu’elle tirât quelque fierté du scandale qui s’attachait à elle. Toute sa vie elle avait aspiré à la gloire du martyre et voici qu’elle était exaucée. La couronne ardente était descendue sur son front ; elle prit une pose digne, afin de la supporter convenablement, et se demanda si cet ornement lui seyait.

— Je comprends seulement que vous êtes une jeune personne très-folle, — répondit froidement Gwendoline, — et que j’ai été bien sotte de m’inquiéter pour vous. Je regardais de mon devoir de faire ce que j’ai fait et, dorénavant, je me lave les mains de vous et de vos affaires. Allez donc votre chemin et ne craignez pas que je m’occupe de nouveau de vous. Il est radicalement impossible que j’aie rien de commun avec la maîtresse de mon cousin.

Elle lança ce mot cruel à la femme du médecin et partit en faisant bruire sa jupe soyeuse dans l’étroit vestibule. Isabel entendit la voiture s’éloigner et alors elle tomba à genoux, pour sangloter et se lamenter sur sa destinée. Ce dernier mot l’avait touchée au cœur. Il détruisait toute la poésie de sa vie, il mettait devant elle dans sa signification la plus étendue la portée de sa po-